«Si on veut interdire les moteurs classiques, qu’on ait le courage de le dire»

Interview : Jean-Christophe HERMINAIRE
«Si on nous dit qu’en 2030 ou 2035 il ne doit plus y avoir de voitures avec un moteur classique, à combustion, alors il n’y aura plus de moteurs classiques, point. On sait que c’est la seule voie, et je suis sûr que cela peut fonctionner.» L’homme qui lâche ces mots est le CEO de D’Ieteren Auto. À elle seule, la société bruxelloise représente 22% du marché automobile en Belgique. On pourrait considérer Denis Gorteman comme l’un des plus gros pollueurs du pays. Mais son discours est loin d’être «frileux».
Denis Gorteman, les jeunes sont dans la rue pour le climat. Ils veulent des solutions concrètes, que leur répondez-vous?
D’abord, je veux les remercier. Je suis fier de cette jeunesse, je trouve que leur message est construit, pas naïf, ni fantaisiste. Je n’ai pas toujours entendu de messages aussi clairs et fermes de la part des capitaines d’industrie et des politiques. Ces jeunes nous donnent un bon coup de pied au derrière.
Ça veut dire que vous aviez besoin de ce coup de pied?
On fait déjà beaucoup de choses mais on peut en faire plus et plus rapidement. Chez D’Ieteren, nous avons une palette de services qui justement répondent, je pense, aux attentes de ces jeunes.
Quels services?
Nous avons lancé un service de voitures partagées; nous avons lancé des scooters électriques; nous investissons dans une application qui s’appelle pikaway , qui permet de combiner l’ensemble de la mobilité: les transports publics, la voiture ou le scooter partagé, l’auto personnelle, le taxi, le vélo, dans un seul et même trajet, avec un seul moyen de paiement.
Tout cela est à l’initiative de D’Ieteren?
C’est 100% construit et financé par D’Ieteren. Et cela va dans le sens demandé non seulement par les 32 000 jeunes mais par une large part de la population qui souhaite se déplacer autrement. Notre mission, c’est aussi d’améliorer la vie sociale de nos concitoyens en proposant une mobilité accessible, fluide, durable. Le système est en train de s’étouffer lui-même. On n’a jamais construit de voitures aussi performantes, mais les deux tiers de nos clients s’asseyent derrière leur volant en râlant.
Que demandez-vous au politique comme mesures concrètes pour faire évoluer la mobilité?
Nous proposons depuis cinq ans une taxation au kilomètre intelligente. Nous voulons aussi que l’on taxe de manière équitable les transports publics, qui ont 6% de TVA, et les voitures partagées, qui sont à 21%. La taxation automobile doit être équitable et à long terme. Ce qu’il faut surtout, c’est que le message politique soit clair, que l’on prenne en compte le temps économique, que l’on donne aux industriels le temps de mettre en place des solutions. On ne peut pas nous accuser de ne pas vouloir avancer dans la bonne direction, mais tout n’est pas entre nos mains.
Les solutions qui permettraient de polluer moins existent. Qu’est-ce qui freine leur introduction?
Si vous voulez imposer la voiture électrique, ce n’est pas difficile. Ça peut être décidé en une semaine. Mais je n’entends personne en Belgique prendre une décision pour interdire la vente de moteurs à combustion en 2035. Le jour où ils prendront cette décision, ce sera 5 milliards d’accises sur les carburants en moins dans le budget de l’état.
Mais que faut-il alors pour bouger? Davantage de pression?
Septante mille personnes dans la rue, ce n’est pas de la pression? Mais le changement ne se fera pas d’un claquement de doigt. Si vous nous le dites aujourd’hui, on peut y répondre. Mais si vous ne le dites pas aujourd’hui, alors cela n’arrivera pas en 2035. On a bien pris la décision d’interdire les sacs en plastique… À un moment donné, il faut donner une vision à l’industrie. Si on veut aller dans cette voie, qu’on ait le courage d’y aller.
On a quand même l’impression que les lobbys automobiles freinent souvent des quatre fers par rapport au changement…
Est-ce qu’on freine des quatre fers? Non. Quand on met 350 voitures électriques ou au CNG dans la ville d’Anvers, nous favorisons le changement. Une voiture partagée, c’est 6 ou 7 voitures vendues en moins. La société D’Ieteren, ce n’est pas une ASBL. On va passer de la vente de voitures à la voiture partagée. Ça, c’est entre nos mains. On ne donnera pas les voitures électriques, nous comptons les vendre. Nous accompagnerons cela par la mise en place de bornes, de batteries. C’est du business complémentaire. Nous allons fêter les 214 ans de D’Ieteren et je suis convaincu qu’on s’adaptera.
Changer «Si on veut changer les choses, il ne faut pas se dire: qu’est-ce que les autres peuvent faire, mais qu’est-ce que moi je peux faire? Chez D’Ieteren, nous avons changé notre parc de voitures de société, on a un magnifique parking à vélos, des douches, on a une politique de télétravail et 50% de notre énergie est autoproduite. Nous avons même des ruches.»
Diesel «On a énormément critiqué le diesel mais peut-on décrier la technologie qu’il y a derrière? Le CO2 a augmenté parce qu’on vend plus de moteurs essence. Est-ce cela qu’on veut? Et il ne faut pas croire que la voiture électrique va solutionner le climat. Que va-t-on faire pour que la production de l’énergie nécessaire soit propre?»
Étaler «Si on veut interdire la voiture dans Bruxelles, alors il faut admettre qu’une partie de l’économie va s’étaler sur le pays. Est-ce qu’on a une politique pour étaler les flux de mobilité? Non. Toutes les écoles ouvrent en même temps et les commerces doivent fermer le dimanche. Ce sont des tabous auxquels on ne peut pas toucher.»