Luca de Meo/John Elkann : "Le sort de l'industrie automobile européenne est en jeu".

John Elkann, président de Stellantis, et Luca De Meo, PDG de Renault, ont déclaré dans une interview accordée au Figaro lundi que le sort de l'industrie automobile européenne se jouait cette année. Tous deux plaident pour que l'Europe retrouve ses origines : la voiture populaire et abordable. Ils affirment qu'une simplification radicale et rapide des réglementations en est la clé.

"Cette année, pour la première fois, la Chine produira plus que l'Europe et les États-Unis réunis. 2025 est un moment crucial", a déclaré M. Elkann. "Le niveau actuel du marché est un désastre, il y a un enjeu stratégique pour les Etats aussi, le secteur représente 400 milliards de recettes fiscales en Europe", a souligné De Meo.

"Le marché européen est en chute libre depuis cinq ans ; c'est le seul grand marché qui ne s'est pas remis du COVID-19", explique M. Elkann. "En 2019, l'Europe a vendu 18 millions de voitures, contre à peine 15 millions aujourd'hui. À ce rythme, le marché pourrait être divisé par deux en une décennie."

Deux écoles de pensée

"Il y a deux écoles de pensée en Europe", déclare M. de Meo. "Il y a Stellantis et le groupe Renault, qui représentent 30 % du marché européen et qui veulent produire des voitures populaires en Europe pour l'Europe. Et il y a la ligne de pensée des marques haut de gamme qui se soucient certes de l'Europe, mais considèrent l'exportation comme leur priorité. Pendant 20 ans, leur logique a orienté les règles du marché".

M. De Meo ajoute que cela n'est pas sans conséquences : "Les réglementations européennes ont rendu nos voitures toujours plus complexes, plus lourdes et plus chères. Aujourd'hui, nous constatons que les gens normaux ne peuvent plus se les offrir."

"Entre 2015 et 2030, le prix d'une Clio aura augmenté de plus de 40 %, et ce pour 92,5 % en raison de la réglementation." Tous deux se souviennent de l'Italie, par exemple, dans les années 80 : un marché où trois voitures sur quatre mesuraient moins de 4 mètres. En Europe, la part de ce type de voiture est passée de 50 % à 5 %.

Lutte pour la voiture populaire

De Meo et Elkann affirment que la France, l'Italie et l'Espagne doivent se battre pour le retour/la réhabilitation de la voiture populaire. "Ce sont les pays les plus concernés. Ils ont acheté ces voitures et leurs usines les ont fabriquées. Ensemble, ils pèsent plus lourd que l'Allemagne en termes de production. Ces pays doivent donner la priorité à la promotion de leur industrie", ajoute M. Elkann.

"Nous voulons des réglementations différentes pour les petites voitures", explique M. de Meo. "Trop de règles sont établies pour les voitures plus grandes et plus chères. Il n'est pas possible de traiter une voiture de 3,8 m comme une voiture de 5,5 m, mais les réglementations le font. Il n'y a pas d'argent à gagner sur les petites voitures de cette manière.

Le patron de Renault s'appuie sur différents exemples pour démontrer son point de vue : "Est-il vraiment nécessaire d'avoir un système coûteux pour empêcher les intrusions sur les lignes blanches lorsqu'une voiture passe sa vie en ville ? Ma R5 doit réagir de la même manière qu'une berline de luxe dont la surface frontale est trois fois plus importante en cas de choc. Dois-je produire un capot en tungstène ?"

Les deux capitaines de l'industrie citent les voitures japonaises "Kei" pour montrer que les petites voitures peuvent aussi être très lucratives. Au Japon, elles détiennent 40 % du marché, grâce à des réglementations spécialement conçues pour elles par les municipalités.

Simplification européenne

Elkann et de Meo souhaitent que l'Europe réagisse de toute urgence. La nouvelle orientation doit être de simplifier les choses. Le problème est que l'Europe parle beaucoup mais n'agit pas en conséquence, ce que les deux PDG critiquent. "L'Europe doit mettre en œuvre un programme de simplification puissant", demandent-ils avec insistance. "Actuellement, 100 nouvelles réglementations sont prévues d'ici à 2030. Elles rendront les voitures 40 % plus chères. Cinq annuaires généraux ont quelque chose à dire, et parfois, ils se contredisent."

"Dans sa juste cause pour un meilleur environnement, l'Europe s'est concentrée uniquement sur les nouvelles voitures. Mais n'est-il pas tout aussi crucial pour notre environnement de remplacer 250 millions de véhicules polluants dont l'âge moyen est de 12 ans ? L'Europe a trop longtemps pensé que la transition énergétique vers la voiture électrique était la solution miracle."

M. De Meo identifie trois objectifs : "Premièrement, les nouvelles réglementations ne s'appliquent qu'aux nouvelles voitures ; deuxièmement, les réglementations doivent être regroupées, et non modifiées tous les mois ; troisièmement, nous devons être en mesure de nous adresser à une instance décisive au sein de la Commission.

"Ce que nous voulons, ce sont des décisions rapides et sûres. Nous pouvons ainsi nous adapter et les mettre en œuvre le plus rapidement possible. Des politiques industrielles fortes sont mises en place en Chine, aux États-Unis et dans les pays émergents. En Europe, nous devons composer avec 27 membres et une Commission qui n'a ni la volonté ni la capacité d'agir", confirme M. Elkann.

"Tous les pays du monde dotés d'une industrie automobile protègent leurs marchés, sauf l'Europe", ajoute M. de Meo. Il demande à l'Europe de réunir les régulateurs, les ingénieurs de l'industrie et les scientifiques autour d'une même table afin de créer des normes réalistes pour l'avenir.

Il est temps d'agir

"2025 est une année charnière", préviennent les deux patrons de l'industrie automobile. "Le marché automobile chinois dépassera celui des États-Unis et de l'Union européenne réunis. L'Europe doit choisir entre devenir un simple marché ou rester une région où l'industrie automobile peut prospérer. Dans cinq ans, il sera trop tard. C'est maintenant, en 2025, que se jouera le sort de l'industrie automobile européenne.

 

 

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