Une nouvelle étude financée par la Commission européenne et menée par l'université de Gand sur les conditions de travail des pilotes et du personnel de cabine dans les compagnies aériennes de l'UE révèle des tendances alarmantes qui ne sont pas nécessairement encourageantes pour les passagers des compagnies aériennes.
Les charges de travail élevées, la fatigue, le stress et le sentiment de déshumanisation sont monnaie courante, et la pression en faveur de l'efficacité et de la réduction des coûts n'a fait qu'augmenter, en particulier chez les transporteurs à bas coûts. Si l'on ajoute à cela l'incertitude des contrats ou des conditions de travail et le contournement souvent délibéré des règles légales en matière de périodes de repos, il apparaît immédiatement que la priorité absolue est le profit, et non la sécurité.
Des tendances inquiétantes
L'étude "UGent 2.0 - Evolving Social Challenges for Aircrew and the Need for Regulatory Response" a été menée par le professeur Yves Jorens et le docteur Lien Valcke, et a interrogé 6 900 membres d'équipage de plus de 100 compagnies aériennes de l'UE.
Certaines des tendances révélées par l'étude sont pour le moins inquiétantes. Par exemple, 78 % des personnes interrogées ont déclaré éprouver un sentiment de déshumanisation, les membres du personnel de cabine en particulier affirmant que leur entreprise les traite comme des numéros plutôt que comme des professionnels. 68 % des personnes interrogées ont également un score inférieur au seuil indiquant un bien-être positif.
Près de la moitié (45 %) estiment que le stress, la fatigue et les contraintes mentales affectent sensiblement leurs performances. Plus de 35 % des membres d'équipage et plus de 20 % des pilotes déclarent également qu'ils ne signalent pas toujours leur fatigue ou leurs problèmes de santé par crainte des conséquences sur leur carrière.
Il est également inquiétant de constater que plus de 10 % ne signalent aucun incident de sécurité, même si des situations se sont produites, ce qui indique clairement que la culture de signalement est soumise à des pressions. En outre, quelques autres chiffres indiquent clairement un manque de protection syndicale. Plus de 10 % indiquent que leur "base d'attache" officielle ou leur lieu de travail contractuel ne correspond pas à leur base réelle, ce qui suggère un possible contournement des cotisations de sécurité sociale et du droit du travail.
5,8 % des pilotes travaillent également en tant qu'indépendants, ce qui, selon les chercheurs, est une forme d'emploi atypique et à haut risque dans le secteur. Une proportion importante des personnes interrogées ont également un deuxième emploi pour joindre les deux bouts, ce qui accroît encore les risques liés à la fatigue et à la sécurité.
Contrats incertains
Ce qui est généralement frappant, c'est que la proportion d'employés qui hésitent à signaler des problèmes est systématiquement plus élevée parmi le personnel ayant des contrats atypiques, tels que des contrats temporaires ou intérimaires. Ces contrats sont plus fréquents dans les compagnies aériennes à bas prix. Une autre observation connexe est que de nombreux pilotes expérimentés et âgés quittent le secteur et sont remplacés par des collègues jeunes, moins expérimentés et bénéficiant de contrats flexibles. La pandémie de COVID-19 a exacerbé ce phénomène.
Ce sont précisément ces contrats incertains qui rendent les jeunes pilotes vulnérables et les encouragent à accepter des conditions de travail qui n'accordent pas la priorité à la sécurité.
Opérations monopilotes
Parmi les nouvelles tendances mises en évidence dans l'étude figure le recours croissant aux "opérations à pilote unique", selon lesquelles les vols commerciaux sont effectués avec un seul pilote dans le cockpit au lieu de deux. Ces mesures d'économie sont mises en œuvre, par exemple, pour pallier la pénurie de pilotes et sont techniquement possibles grâce à l'émergence de l'IA.
Cependant, l'élimination des contrôles croisés entre deux pilotes peut entraîner davantage d'erreurs humaines, tandis que la fatigue et les urgences médicales constituent un risque sérieux pour la sécurité du seul pilote.
Une autre tendance qui peut également constituer un risque potentiel pour la sécurité est la tâche supplémentaire assignée au personnel de cabine, qui consiste à vendre divers articles pendant le vol. Dans certains cas, une partie de leur salaire dépend de leurs compétences en matière de vente.
L'Europe de l'Est est pointée du doigt
Une considération générale concernant l'étude est que toutes les compagnies aériennes ne sont pas représentées de manière égale. Les transporteurs à bas prix, les compagnies aériennes d'Europe de l'Est et les compagnies aériennes ayant des pratiques de travail atypiques semblent être plus fortement représentées dans les résultats.
C'est précisément cette inégalité entre les travailleurs, ou la distinction entre contrats stables et atypiques, qui peut conduire le personnel d'Europe de l'Est à être moins enclin à signaler la fatigue ou les problèmes de santé, par crainte ou en raison de la pression contractuelle, par rapport à ses collègues d'Europe de l'Ouest.
Dans ce contexte, il est essentiel de mentionner l'essor des sociétés de leasing. Dans ce cas, une compagnie aérienne loue un avion avec son équipage à un sous-traitant, une pratique également utilisée par de grandes compagnies aériennes comme Brussels Airlines en période de forte activité. Pas moins de 65% du personnel de ces sociétés de leasing travaille sur des contrats atypiques, et il n'est pas rare que ces sous-traitants soient officiellement basés dans des pays d'Europe de l'Est où les règles sont moins strictes.
Révision nécessaire
L'étude appelle donc à combler les lacunes des cadres réglementaires. Cela pourrait se faire, par exemple, dans le cadre de la révision du règlement 1008/2008 sur les services aériens de l'UE, qui est actuellement en cours.
L'objectif de cette révision est précisément d'actualiser le règlement afin qu'il réponde mieux aux défis actuels en termes de durabilité, de politique sociale, de résilience du secteur et de développements technologiques. Dans le même temps, elle appelle également à des contrôles plus stricts et à une meilleure protection des travailleurs en général.


